Tout a commencé à Sapa. Plus précisément dans le village de Ta Van, situé dans le Nord montagneux du Vietnam. La région est réputée pour ses riches différences culturelles, abritant 24 ethnies différentes parmi les 54 qu’il est possible de rencontrer à travers le pays. Après 13 jours solitaires sur la moto à me balader d’Est en Ouest le long de la frontière chinoise, j’entamai le dimanche 17 avril un énième et ultime road trip au Vietnam : direction le poste de frontière à Điện Biên Phủ afin de me rendre dans la ville de Luang Prabang, au Laos.
Départ aux aurores, il est 5h15, la lumière de mon feu éclaire faiblement la route défoncée remontant vers Sapa. Première sortie de si bonne heure dans les montagnes depuis mon départ de Hanoi, frissonnant et tremblant, je m’équipe de mon sweat, enfin des lambeaux restants après m’avoir accompagné pendant ces 30 derniers mois ; puis de ma veste plus chaude, capuche enfoncée sur la tête par-dessous le casque, les gants, et un premier arrêt vers 7h30 pour une boisson chaude.
La moto roule bien, j’ai été contraint de changer la batterie deux jours plus tôt, effectuant les 10 kms depuis Sapa en démarrant la moto en descente ; bah oui mon démarreur au kick de fonctionne pas non plus.
Surprise, la route vers Điện Biên Phủ, en plus d’être scénique, est neuve. Avec ma petite Honda Win, que j’appelle intimement l’Emmerdeuse, je fonce, et avale les kilomètres vitesse grand V.
Florian, un français croisé par deux fois, dont la veille, a plusieurs heures d’avance sur moi et me tient informé de son avancée et de sa tentative pour passer le fameux poste frontalier, réputé pour ses douaniers peu scrupuleux.
À 5 kilomètres de Điện Biên Phủ, voilà que je crève, la roue arrière, encore et toujours. Arrêt dans un boui-boui sur le bord de la route, où deux anciens vietnamiens, tout sourires, me répareront cela, en plus de faire la vidange du moteur. Nous buvons le thé vert, on tente de communiquer : des rires, des sourires, de l’admiration ; chacun est impressionné par les faits et gestes de l’autre. Moins d’une heure plus tard, je repars et contemple le monument de guerre de Điện Biên Phủ.
La bataille de Điện Biên Phủ qui s’acheva le 7 mai 1954, après 57 jours et 57 nuits d’affrontements, scella le sort de la présence française en Indochine. Mené par le leader communiste, Ho Chi Minh, le Việt Minh, l’organisation armée du parti communiste vietnamien se battant pour l’indépendance du Vietnam, regagna la ville de Điện Biên Phủ, camp de la dernière chance de l’armée française, utilisé comme base pour la reconquête de l’Indochine, retranché et isolé dans une vallée entourée de la jungle environnante sur les versants des montagnes. Après trois mois de batailles intensives, le bilan fût considéré comme le plus lourd de l’après Seconde Guerre Mondiale comptant plus de 10 000 morts – dont près de 8 000 soldats du Việt Minh – et 11 721 soldats d’origines française et indochinoise faits prisonniers dans des conditions atroces : 3 290, seulement seront rendus à la France.
Et me voilà ici, sur ces terres, dans cette ville chargée d’Histoire, de plomb, de sang, dont la majorité d’entre nous n’avons probablement jamais entendu le nom ou l’histoire. Pas le temps pour le musée malheureusement, direction le coiffeur, enfin le barbier d’abord. Après six semaines sur les routes vietnamiennes et mon dernier rasage, j’aimerais ressembler un peu plus à la photo de mon passeport. Je demande une tonte rapide, qui se transformera finalement en rasage de près avec coupe de cheveux : je suis méconnaissable. Le jeune coiffeur tout souriant lève ses pouces en l’air et me prend plusieurs fois en photo. Si je reviens plus tard, ma photo sera peut-être sur la vitrine de la boutique, qui sait !
Une trentaine de kilomètres, à peine me sépare de Điện Biên Phủ du poste de frontière. J’atteints la frontière vers 16h30, un bus dont les occupants se consacrent à montrer leurs passeports, je sens le regard des douaniers, je gare la moto devant le bâtiment. Dans le bureau, je suis seul avec un jeune douanier, il examine mon passeport et pose la fatidique question : « Motorbike ? ».
Je montre la carte grise tandis que le responsable qui me dévisageait plus tôt pénètre à son tour dans le bureau. Ils s’expriment tous les deux en vietnamien.
« Sorry, no motorbike. Go Na Meo. » me dit finalement le douanier. Je demande pourquoi, grâce à son traducteur sur son portable, je comprends que c’est la loi, problème avec l’immatriculation.
Je n’ai pas eu de nouvelles de Florian, je ne l’ai pas croisé non plus sur la route, j’en déduis qu’il est passé de l’autre côté. Je me doute qu’il me suffit de demander la somme qu’ils veulent m’extorquer pour m’autoriser à passer. Ce que je ne fais pas. Je savais où je mettais les pieds en venant ici, je savais aussi que, comme me l’a indiqué le douanier, j’aurais plus de succès pour passer à Na Meo, un poste de frontière plus au sud. C’était le premier essai, j’avais du temps, et Na Meo n’était pas si loin. J’étais décidé, et optimiste ! C’était sans compter sur mon manque d’attention et l’erreur du GPS. Dans ma précipitation pour progresser le plus vite possible sur mon détour de 496 kms, je suis allé me perdre dans d’autres provinces, toujours montagneuses, me trompant d’itinéraire et de direction sur une trentaine de kilomètres sinueux.
Surpris par la nuit, je demande dans une petite ville, enfin, où je peux dormir. Je suis exténué. Je rencontre un villageois vietnamien qui appellera son ami, Đăng, qui peut écrire en anglais à défaut de parler la langue de Shakespear. Nous communiquons via son portable, et il prendra son scooter afin de me guider pendant 15 kms, et s’assurera que je sois bien installé dans la piaule d’un petit hôtel. Je jette un oeil sur la carte pour constater les dégâts, la route sur laquelle je suis ne va nul part, hormis dans les campagnes toujours plus isolées du Vietnam. Il faut que je revienne sur mes pas. Sms de Florian, le prix du pot de vin pour passer la moto était de 45 $USD. Réveil prévu pour 5 heures, encore …
À SUIVRE …
(1/3 de mon voyage vers Luang Prabang !)
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