Byzance, Constantinople, Istanbul, les noms se sont succédés mais la mégalopole turque – 15 millions d’habitants – qui trône sur le détroit du Bosphore reste un carrefour de cultures, plus aussi scintillante que par le passé toutefois. Istanbul en Turquie, avec une rive en Europe, l’autre en Asie, des chrétiens, des musulmans, des juifs, et depuis quelques années, des réfugiés. Beaucoup. Plus de 3 millions en juillet 2016, d’après l’Union Européenne.
Après avoir erré le long du Bosphore où de nombreux turques alignés les uns à côté des autres pêchent de bon matin, je me retrouve à déambuler dans le Bazar d’Istanbul. Je me laisse flâner, envouté par les multiples odeurs d’épices et de thés qui parfument les devantures des échoppes.
Il y a très peu de touristes et, à ma grande surprise, les vendeurs me sollicitent rarement, sans insister. Je me suis très vite lié d’amitié avec l’un d’eux, Mohammad, 25 ans, diplômé et cultivé, quadrilingue, désormais bien intégré en Turquie. Oui, parce que Mohammad, c’est un migrant. Il a quitté la Syrie il y a quelques années et s’est installé à Istanbul après avoir étudié et travaillé en Russie auparavant. Il ne se voit pas resté mais nourrit tout de même des projets à Istanbul avec sa femme, syrienne elle aussi. Après avoir siroté un merveilleux thé à la pomme et une bonne demi heure de parlotte, on se souhaite le meilleur et nous nous quittons.
Des migrants, j’en ai rencontré d’autres, tous aux passifs différents. En provenance de Syrie majoritairement, ces réfugiés de guerre ou politique avaient fuit Alep dans l’année, comme cette femme en Turquie centrale, ne parlant pas truc, ou bien ce jeune homme à Istanbul, tout deux travaillant depuis dans des hôtels de premiers prix. Richard, d’origine Afghane lui, avait fuit Kaboul après que les talibans aient essayé de le descendre deux fois. Travailler pour l’Unesco en partenariat avec les nations occidentales ne fait visiblement pas l’unanimité. Adieu Kaboul donc. Alors qu’il pouvait demander à immigrer aux Etats-Unis, Richard, en urgence, choisi la Turquie par simplicité, afin d’être rapidement en sécurité et ainsi éviter le délai administratif américain qui aurait pu lui coûter sa vie.
Tout comme Mohammad, eux aussi, ce sont des migrants. Certains qui ont rebondi, d’autres qui sont en train. Le sourire aux lèvres, ils font part de leurs rêves, de leurs envies de voyager, eux aussi, mais également de rentrer en Syrie ou à Kaboul, leurs chez eux, si proches et pourtant, si loin.
Cependant, si les personnes que j’ai rencontrées se portaient bien, certaines vivent dans la rue, sur des morceaux de cartons, exactement comme à Paris, le long du Canal Saint Martin, ou ailleurs. D’autres, sont toujours entassées dans des camps de réfugiés aux abords des frontières, dans l’attente que leurs sorts soient enfin fixés.
Difficile de rester de marbre quand une personne vous répond être natif d’Alep après avoir retourné la question au sujet de ses origines. Je ne m’y attends pas, ma gorge se serre, un blanc s’installe avant que je ne rebondisse, à mon tour. Si mes interlocuteurs ne souhaitent pas s’installer en Turquie, c’est qu’ils ont bien conscience que s’ils sont en sécurité, la situation ne va pas en s’améliorant non plus de ce côté de la frontière. En estimant pour 2016 une perte de 11 milliards d’Euros et une chute de 70% des réservations avant le triple attentat suicide à l’aéroport Attaturk d’Istanbul en juin, et le coup d’État raté de juillet, sans mentionner et détailler les atrocités de fin 2016, le secteur touristique turque, qui représente près de 16% des emplois du pays, s’écroule. Le taux de chômage a dépassé les 11% tandis que la Turquie a enregistré une baisse de son PIB estimée à 3 milliards d’Euros entre 2014 et 2015.
Entre temps, lors de cette même semaine de novembre, le Président de La république de Turquie, Recep Tayyip Erdoğan, organisait une nouvelle purge au sein de la presse et du parti d’opposition, alors que le journaliste français, Olivier Bertrand, passait trois jours en garde à vue. 50 000 arrestations, 170 organes de presse réduits au silence, 105 journalistes placés en détention et un grand nettoyage également dans les hautes sphères du gouvernement, de l’armée, du système judiciaire depuis le mois de juillet.
Les contrôles de police se succèdent et s’intensifient en faisant route vers l’Est, vers la région Kurde ; une des autres problématiques turques. Les Kurdes souhaitant leur indépendance vivent en Turquie, en Iran ainsi qu’en Irak. Depuis mi-octobre 2016, les milices Kurdes (PKK et YPG) aident l’armée irakienne à reconquérir Mosul, ville située dans le Nord de l’Irak aux mains des soldats de l’État Islamique. Ces mêmes pro-Kurdes en Turquie pendant ce temps là, s’en prennent à l’armée et aux policiers turques, comme à ce commissariat de police à Diyarbakir en octobre, ou plus récemment le 10 décembre lors de ce double attentat à Istanbul causant 44 morts, dont 36 policiers.
En route pour l’Iran, depuis la Turquie donc, je me décide de rallier, plus tôt que prévu, l’ancien Empire Perse. Avant tout en raison de mon impatience grandissante à l’idée de découvrir l’Iran, désormais si proche, mais aussi, malheureusement, en raison de l’actualité et de l’atmosphère tendue qui régnait en Turquie à cette période. Ce qui m’a décidé, c’est cette drôle de pensée qui m’a traversée l’esprit lorsqu’en attendant mon bus de nuit dans une gare routière, un voyageur turque m’a confié sa valise le temps qu’il aille aux toilettes ; service basique entre voyageurs rendu maintes et maintes fois. Alors que près d’un quart d’heure s’était écoulé, j’avais toujours un oeil sur cette valise et je me suis interrogé sur son contenu, et si ce n’était pas un baggage ordinaire …
En ayant lu la presse le jour même, il était légitime, je pense, d’avoir cette sombre pensée. Finalement, la personne est revenue, nous avons essayé de discuter, barrières de la langue obligent, et avons partagé fruits et thés. Cette même nuit, un soldat armé d’un fusil d’assaut, me réveilla dans le bus afin de contrôler mon identité. Il était temps de rejoindre un endroit chaleureux.
En route pour l’Iran !
2 161 kms à travers la Turquie
Comment
[…] région Kurde, les barrages et contrôles de police se succèdent aussi bien à l’entrée des villes que […]