Il est 5h00. A l’aide de quelques lumière environnantes, je finis d’attacher mon sac sur la moto, la tête encore un peu dans le gaz. Je toque à la porte du taulier pour récupérer mon passeport, et un coup de poignet plus tard, je franchis le portail et suis sur la route. Direction Na Meo afin de traverser la frontière pour rejoindre le Laos et Luang Prabang.
Hâtivement , je décide de ne pas revenir sur mes pas de la veille, afin de ne pas perdre de temps. Sur la carte, j’ai trouvé un itinéraire partant du village de Na Son, où j’ai passé la nuit, allant vers une ville sur la route nationale qui me permettra de rejoindre ma destination.
Il fait encore nuit lorsque je traverse le village et entame mon ascension. Rapidement, la route se détériore, ralentissant ma progression, puis je m’enfonce toujours plus loin dans un Vietnam oublié, traversant de petits villages qui se réveillent tout doucement. Avec des yeux étonnés, les habitants, aux traits encore marqués par le sommeil me saluent, sourient, vaquent à leurs tâches quotidiennes. Le soleil apparaît seulement lorsque je suis contraint de faire demi-tour après m’être trompé d’intersection. Je retraverse un village dont la route se compose de dalles de bétons le long des rizières et des maisons traditionnelles des villageois. Il ya une légère brume filtrant les rayons du soleil, celui-ci apparaît comme une énorme boule rouge dans le ciel, se reflétant dans les rizières. C’est magnifique et me donne du baume au cœur.
La route devient catastrophique, ça grimpe, ça descend, de nombreuses caillasses jonchent le sol. Soudain, ma roue avant heurte une pierre, la moto tremble, chancelle, s’engouffre dans un dénivelé dans le sol et se renverse. La moto n’a pas calé, le moteur tourne toujours, je ne pense pas à l’éteindre. Lorsque je relève la moto, la vitesse est toujours engagée, la moto accélère d’elle même, s’emballe et va s’écraser plus loin.
Je gueule. De colère, et surtout de désespoir. C’est dans ces moments là que l’on se rend compte qu’il est plus simple de voyager à plusieurs. Pas le temps de baisser les bras en étant tout seul, surtout lorsqu’un vietnamien et son fils passent sans même s’arrêter. Seul, à mi chemin, je suis au milieu de nul part, il y a très peu de villages, je n’ai plus beaucoup d’argent vietnamien étant donné que je devais rentrer au Laos, je n’ai rien mangé depuis le petit déjeuner de la veille, j’ai besoin d’essence et la moto est une ruine. Mes deux clignotants cassés pendouillent lamentablement, tandis que mon cale pied s’est tordu. J’ai en même temps perdu mon frein avant dont la poignée s’est cassée ainsi que mon frein arrière qui s’est détendu.
Puis pour la première fois, la chance me souri enfin. Peu de temps après, continuant mes descentes, sans frein, je finis par retrouver une route goudronnée en bon état. Je liste mes priorités tandis que je me dirige désormais vers la route nationale. Après avoir utilisé un peu d’argent qui me restait pour un plein d’essence sur la route, j’arrive finalement en ville. Je fonce trouver un ATM, m’en vais faire réparer la moto, attraper un café et quelques fruits, puis me remet en route vers 9h00. Le cauchemar a pris fin : environ 140 kms en 4 heures. Il doit me rester 300 kms avant la frontière, ce ne sera pas pour aujourd’hui.
Un arrêt pour grignoter un Bánh mì, un sandwich vietnamien composé d’une baguette, reste de l’époque coloniale française, garnie de crudités et de viande, puis un second arrêt quelques minutes plus tard afin de réparer une fuite de pétrole sur la moto. Après de nouvelles réparations, on me propose de m’asseoir et de boire le thé vert. Nous échangeons comme on peut, comme toujours : vietnamien, anglais, signes, téléphones, nous rions. Puis on me propose de fumer. En tant que non fumeur, je refuse les cigarettes, mais cette fois-ci c’est une pipe ; et pas n’importe laquelle puisque c’est une pipe à eau en bamboo ! J’accepte. On me tend le tabac, tout le monde rit car j’en prends trop. Quelqu’un se charge de garnir la pipe de tabac pour moi. Puis on me tend le briquet pour l’allumer. Je galère. Ils rient, je leurs fais comprendre que c’est ma première fois, ils me viennent en aide, me montrent. Je recommence, recouvre l’embouchure du tube de bamboo, et aspire un grand coup. Quintes de toux. Des rires de nouveau. J’ai le cerveau qui s’embrume de plus en plus pendant quelques secondes, puis tout redevient à la normale. Je remarque que lorsqu’ils boivent, les vietnamiens aiment boire cul sec ; la manière de fumer est similaire, on s’envoie une dose rapide de tabac d’un coup dans les bronches et dans le cerveau, puis on pose la pipe. Plus tard dans l’après-midi, pendant une pause café, on m’invitera de nouveau à fumer la pipe.
Malgré tous ces arrêts, je progresse et profite de ce détour. Les rencontres le long du chemin furent nombreuses et chaleureuses à chaque fois. Je savoure cette journée qui avait pourtant mal démarrée, en me lançant à l’assault de la dernière ligne droite en fin d’après-midi.
Une nouvelle fois, la route se détériore. L’ancienne route qui rejoint la nationale en direction de la frontière est en triste état dû aux allées et venues des camions et pelleteuses travaillant sur la construction du nouvel axe routier. Très vite, ce n’est plus que boue et flaques d’eau à traverser, devant rebrousser chemin lorsqu’un pont en construction me barre la route. Le soleil se couche, et pour la seconde fois consécutive, je me fais rattraper par la nuit. Dans ma hâte de parcourir le plus de distance possible, je me retrouve piéger avec mon faible phare, m’obligeant à rouler lentement, je sens la moto chevrotante, elle brûle beaucoup d’huile. J’aperçois en hauteur la nouvelle route goudronnée qui s’interrompe par intermittence, tandis que je me retrouve sur un chantier. Je descends de la moto et vais demander mon chemin auprès des ouvriers aux casques jaunes encore présent. Après plusieurs indications, je continue ma descente sur la route boueuse, m’enfonçant un peu plus dans les profondeurs du chantier immense aux bords de la rivière. Je double des hommes qui déchargent un camion, d’autres qui rentrent à leurs baraquements, je slalome entre les fondations des bâtiments, à une intersection un vietnamien me fait signe du chemin à suivre, puis, j’atteins un poste de contrôle avec une barrière, je n’avais rien à foutre là visiblement. Me voilà sur du goudron. Une petite heure de plus dans la nuit avant de m’effondrer sur un lit dans un tout petit endroit, je finirai la centaine de kilomètres restants jusque la frontière le lendemain.
À SUIVRE …
(2/3 de mon voyage vers Luang Prabang !)
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